Blotti au pied du Mont Royal au cœur du quartier du Plateau de même nom à Montréal, Santropol Roulant se situe au carrefour de la langue, de l’âge et des capacités de chacun, de la force et de la fragilité.
Santropol roulant a été fondé par deux jeunes anglophones de l’extérieur du Québec qui étant sous employés, se sont offerts comme bénévoles pour livrer des repas pour le compte de Meals on Wheels, une organisation dirigée par de jeunes retraités qui servaient des repas à d’autres personnes plus âgées. Dans ce contexte, nos deux jeunes gens d’une trentaine d’années étaient une anomalie. Ils découvrirent alors qu’ils se sentaient autant nourris par leur expérience de livreurs de repas que les personnes auxquelles ils les livraient à domicile se sentaient nourris par eux ! Ils mirent sur pied Santropol Roulant ayant comme but de créer des relations à travers les différences, en utilisant la nourriture comme véhicule.
Dès les tout débuts, Santropol Roulant eut à faire face à deux types d’urgence : répondre aux besoins criants de nourriture et approfondir la dynamique des préjugés et des jugements en cause dans les relations entre les jeunes et les personnes âgées, les attitudes et les aptitudes propres à chaque groupe d’âge. Le rythme qui s’est établi fut dicté par des horaires stricts : préparer, empaqueter et livrer 90 repas par jour grâce à l’aide de 100 volontaires par semaine.
L’esprit qui anime le programme de Meals on Wheels est fondé sur la croyance que les activités liées à notre mission et la manière dont nous les remplissons dans une culture d’inclusion, de réflexion et de renforcement de la communauté intergénérationnelle sont d’une égale importance. Nous avons choisi d’explorer toutes les facettes de l’hospitalité dans notre travail.
Il ne suffit pas de nourrir des personnes. Dans notre jardin situé sur un toit, des centaines de bénévoles viennent travailler tout au long de l’été. Depuis la transplantation de légumes jusqu’à leur récolte, ces jardiniers se consacrent à produire une nourriture qu’ils ne consommeront pas. Et pourtant, ce sont eux qui remercient notre équipe lorsqu’ils nous quittent. Idem pour les bénévoles qui cuisinent et ceux qui livrent les repas. L’énergie qu’ils mettent dans nos activités va bien au-delà de l’altruisme.
Il ne s’agit pas de charité. Il s’agit de réciprocité et d’interdépendance. Avec des familles provenant d’une grande variété de pays et de continents, nous avons créé une communauté comme celle de Santropol Roulant pour connaître et faire l’expérience en profondeur des solides liens familiaux et parentaux qui les caractérisent. J’ai commencé à être bénévole à Santropol en 2001, je venais de m’établir à Montréal. Circuler dans un immeuble étranger, entrer en relation dans un corridor avec une personne qui vit une réalité quotidienne totalement différente de la mienne, cela a fait une impression profonde et durable sur moi aussi bien que sur des milliers d’autres jeunes qui ont connu Santropol à un moment critique de leur vie nous amenant à réfléchir sur la façon dont nous côtoyons le monde - le type de relations que nous voulons développer et conserver, la nature de nos ambitions et les choix que nous devrons faire au fur et à mesure que nos propres parents et grand-parents vieillissent.
L’une des critiques les plus courantes qu’on nous adresse à Santropol, c’est que nous ne sommes pas assez impliqués politiquement et que par conséquent, nous ne serons pas en mesure de faire des changements durables à l’intérieur des secteurs qui, en se chevauchant, influent sur la vie des membres de notre communauté. Je réponds à cela que notre politique à nous étant une politique d’inclusion, nous sommes très profondément politiques ! Il est absolument essentiel que nous nous demandions pourquoi tant de personnes finissent leurs jours dans un tel isolement et pourquoi les jeunes gens ne parviennent pas prendre conscience de leur propre identité ; cette expérience si importante ne peut naître que dans une interaction continue avec des personnes de tous les âges. De même que l’isolement social est le problème dans lequel notre organisme a pris racine, de même l’inclusion est la racine de notre engagement.
Lorsque nous établissons une relation entre notre bien être et celui d’autrui, lorsque nous commençons à percevoir les espaces vacants, les toits des immeubles, les escaliers extérieurs typiques de Montréal et les balcons comme étant aussi nos lieux d’appartenance, nos points de vue sur les actions possibles dans la cité se transforment. Sous le pavé des rues, il y a des sources, des plantes comestibles dans nos allées et des produits récupérables dans nos dépotoirs. Comme nous nous percevons comme un organisme devant respecter l’écologie urbaine dont nous faisons partie, nous avons mis au point un programme urbain d’agriculture ; nous faisons le recyclage des déchets alimentaires grâce à des boite de compostage¸ nous pratiquons la conservation et la mise en conserve de la nourriture et nous avons même ouvert une boutique de vélos communautaires pour apprendre à nos bénévoles les bienfaits du transport durable…
Le sentiment d’appartenance est vivant lorsque des gens d’âges, de langues, d’aptitudes et d’horizons différents sont invités à participer à une vie communautaire de telle façon qu’elle soit compatible avec leur identité propre. Pour plusieurs personnes, SR est l’avenue qui les conduit à une vie citoyenne active ; elles peuvent exercer leur droit de vote lors de nos réunions alors qu’elles sont ou bien exclues d’autres arènes publiques ou incapables de s’y investir. La nourriture est notre racine commune, c’est elle qui nous réunit dans le jardin, la cuisine et autour de la table. Ce qui est essentiel, c’est ce qui se passe lorsque nous sommes réunis. En investissant dans les possibilités de nos membres de 7 à 100 ans, en mettant l’accent sur la culture et le développement du leadership, en cultivant une approche joyeuse dans le service, nous commençons à apercevoir des transformations chez les individus, les communautés et même sur les systèmes nutritionnels qui vont beaucoup plus en profondeur que la simple urgence de fournir des provisions de nourriture.