La fracture |
Dès son enfance, ce pommier a montré des signes de fragilité. Il avait à peine trois ans quand la branche principale s'est détachée du tronc, ouvrant une immense plaie sur un côté et laissant à peine sur l'autre quelques pouces d'écorce pour soutenir et nourrir la seule branche encore verte. Pour abattre l'arbre, il aurait suffi d'exercer une légère pression sur cette branche. J'hésitais à le faire, car contre toute attente, ladite branche portait quelques fruits. Le grand malade eut donc droit à un sursis, sans traitement toutefois. Le prochain orage violent allait sûrement l'emporter. Mais le sursis dura, dura et le pommier, toujours aussi malingre, enlaidissait de plus en plus le petit verger, dont il occupait la bordure la plus visible. Je dus me résoudre à mettre fin à son existence insensée; j'allais passer à l'action quand une voix à la fois courroucée et compatissante me supplia de laisser vivre la créature non désirée.
Le don |
Trois ou quatre ans ont passé, pendant lesquels l'arbre handicapé a si bien refait son écorce qu'il a pu résister à plusieurs orages. Vint l'été 2008, l'été de la pluie éternelle. De tous nos pommiers, variés et habituellement généreux, aucun ne donna de bons fruits. Le moribond d'hier par contre se surpassa, il était déjà le seul de sa variété, il fut le seul à nous donner d'excellentes pommes en abondance. Dans un verger, un individu résistant d'une espèce rare est un don précieux.