Merveilleux exemple d'appartenance à la vie. Dans La ferme africaine, Karen Blixen raconte la fascination qu'exerçait le coucou de son horloge sur les jeunes pasteurs kikuyus du voisinage. Ignorant la machine, habitués à mesurer le temps en regardant le soleil, ils considéraient l'oiseau des heures comme un être vivant. Nous projetons notre vision mécaniste du monde sur les animaux, ils projetaient leur conception vitaliste sur les machines. «Lorsque le coucou sortait de sa retraite, un frémissement de joie parcourait les jeunes pâtres, écrit Karen Blixen, et des rires fusaient, vite étouffés.Il arrivait aussi qu'un tout petit berger, moins soucieux que les grands de ses chèvres, revînt seul de grand matin. Il se tenait devant l'horloge éperdu d'admiration; pour peu qu'elle ne répondit pas à sa muette supplication, il s'adressait à elle en kikuyu et l'implorait amoureusement. Puis gravement il repartait comme il était venu. Mes domestiques riaient de la naïveté de petits pâtres: ''Ils croient, m'expliquaient-ils, que l'oiseau est vivant''».
Pourquoi a-t-on associé l'oiseau au temps? Le vol de l'oiseau dans le ciel est l'image parfaite de la marche de l'homme dans le temps. Une aile représente le passé, d'où vient l'élan, l'autre représente l'avenir, d'où vient l'appel. Le vol plané est le moment d'extase où seul l'éternel présent existe.
Le sens du temps c'est d'échapper au temps, par l'extase et l'amour. À défaut de voir les choses ainsi, on demande au temps ce qu'il ne peut donner: l'éternité, laquelle devient ce but sans cesse déplacé dans l'avenir, qu'on espère atteindre en se déplaçant de plus en plus vite vers lui.