Le mot appartenance désigne, selon le Trésor de la langue française, le fait d’appartenir à un groupe. Le mot anglais belonging signifie, selon le Webster, close relationship, affinity. Selon de bonnes sources, la racine du mot ne serait pas to belong, mais be longing for. Le participe longing exprime un désir profond. Il faudrait donc traduire belonging par sentiment d’appartenance. L’usage du mot appartenance, employé seul au sens de relation étroite, d’affinité est toutefois de plus en plus fréquent.
Il est heureux que le mot belonging ne soit pas dérivé du verbe to belong et que par suite il ne soit pas synonyme de belongings, mot que l’on pourrait traduire par effets personnels, choses qui nous appartiennent. Nous n’appartenons qu’à ce qui ne nous appartient pas. Plus l’argent détermine nos rapports avec les êtres et les choses, plus notre sentiment d’appartenance à ces êtres et à ces choses est faible. Nous atteignons le degré zéro de l’appartenance quand par exemple, nous faisons l’acquisition d’un bien pour le revendre bientôt avec profit ou quand nous cultivons une personne ou un groupe avec l’espoir que cela serve à l’avancement de notre carrière. Tout ce qui renforce en nous le droit de propriété et les droits individuels en général affaiblit le sentiment d’appartenance, lequel s’accroît au contraire avec le sens de l’obligation. Il ne s'agit pas d'un plaidoyer contre la propriété mais du rappel d'une vérité d'expérience: le sentiment d'appartenance d'une terre est lié au sentiment de nos obligations à son endroit plus qu'au droit que nous avons d'en faire ce que nous voulons. Qui oserait dire qu'un paysage lui appartient même s'il est situé sur ses terres? C'est nous qui appartenons au paysage.
Nous avons une obligation à l’égard de toutes les réalités qui contribuent à satisfaire nos besoins vitaux : de la plus élémentaire sécurité à la plus haute vérité. Pour ainsi nous protéger et nous nourrir, ces réalités doivent être elles-mêmes vivantes. Je n’éprouve aucun sentiment d’appartenance à ma voiture, ni aux trains ou aux avions qui me transportent sans m'élever.
Ma raison et mon désir de puissance me font apprécier la vitesse de ces machines, mais cette vitesse empêche le sentiment d’appartenance, lequel au contraire exige la lenteur, qui à son tout favorise une chose essentielle dans l’appartenance : la réciprocité. Lorsque je parcours un paysage à pied ou à vélo, j’ai le temps de me donner à lui, il a le temps de se donner à moi.
Quand nous faisons irruption dans une nature sauvage, nous avons, pendant les premières heures, le sentiment que la vie en est absente; mais si notre présence est discrète, silencieuse et lente, la vie revient peu à peu; les animaux, d’abord effrayés, reprennent leurs habitudes. Le milieu, apprivoisé, se donne à nous en retour. Il en va de même de nos rapports avec les communautés humaines.
La réciprocité n’est pas une causalité inversée. Le balancier qui revient parce qu’une force le pousse dans la direction opposée ne pratique pas la réciprocité, laquelle ne peut être qu’une réponse de la vie à la vie.
Cette réponse de la vie peut venir du passé par l’évocation d’un poème ou d’un tableau, mais non de l’avenir. Il importe certes de conserver une certaine prise sur l’avenir, c’est là un besoin vital, mais quand on reporte son besoin d’appartenance sur l’avenir, comme les empires communistes et nazis ont contraint des peuples entiers à le faire, on risque de briser les formes les plus précieuses d’appartenance.