On choisit la solitude, on subit l'isolement. Voilà ce que disent les sages. Cette formule, certes, a le mérite de bien marquer les deux pôles du même fait, être seul, mais elles risquent de nous empêcher de saisir les demi-teintes de la zone intermédiaire.
On peut être seul sans l'avoir voulu et assumer ce fait. C'est là que se trouve peut-être la gloire d'être seul, pour reprendre l'expression de Tillich, lequel opposait la solitude ou la gloire d'être seul à l'isolement ou la peine d'être seul.
On peut aussi avoir choisi d'être seul sans assumer ce choix. Là se trouve peut-être la plus grande peine d'être seul.
La situation la plus fréquente est sans doute celle où l'on choisit à moitié d'être seul et où l'on assume ce choix également à moitié. Ce peut être le cas de la personne qui a provoqué un divorce à l'âge de cinquante ans sans mesurer le risque qu'elle prenait ainsi de finir ses jours seule. N'ayant pas voulu sans réserve être seule, elle cherche constamment des distractions. C'est sans doute à une personne dans cette situation que pensait Sénèque quand il a écrit: «Nous ne pouvons souffrir ni nos maux ni les remèdes à nos maux.»
On associe également l'isolement au vide et la solitude à la plénitude, autre façon d'attirer l'attention sur les deux situations extrêmes. Mais encore faut-il préciser que le vide associé à l'isolement est le plus souvent une fausse plénitude, consistant à être rempli de tout sauf de soi-même, du réel et de Dieu. De tout, c'est-à-dire de la multitude d'images et de sons auxquels nous sommes constamment exposés.
Quant à la plénitude associée à la solitude, elle doit, pour être authentique, être précédée par le vide intérieur. C'est là d'ailleurs le sens de la solitude: substituer en nous le vrai vide à la fausse plénitude. Cela suppose que la solitude s'accompagne de silence ainsi que de beauté stable et tranquille. Au fur et à mesure que le vide se creuse en nous, ce qui ne se fait pas sans douleur, une autre réalité, venue du fond de notre être et du coeur des choses, nous remplit progressivement, si nous sommes aimés, si nous aimons. Tout commence par l'amour, y compris le vide intérieur. Au fond de la personne isolée dans sa fausse plénitude gît un petit pauvre, ignoré de soi-même et des autres. Qui donc le reconnaîtra, par quel élan d'amour?