Appartenir � la terre
�Qu'un homme, dans sa maison, pense ce qu'il veut de la Nature; au-dehors, elle lui para�tra toujours nouvelle. Je reste en plein air � cause de l'animal, du v�g�tal, du min�ral qui sont en en moi.� Henry David Thoreau, Journal , 1837-1861.
Du fait de ses 5 974 milliards de milliards de tonnes, la Terre exerce une attraction bienfaisante, une gravit� l�g�re qui constitue notre attachement physique, nous emp�chant de
nous envoler dans l�espace tout en nous autorisant le mouvement. Elle permet aux Australiens de ne pas sentir qu�ils ont la t�te en bas et aux voyageurs qui s�y rendent de ne pas avoir la
sensation de perdre leur horizontalit�. Cette anecdote nous montre combien notre physiologie, en se d�veloppant aux contacts des donn�es terrestres, s�est dot�e de capteurs sensoriels sp�cifiquement li�s � la perception de la gravit� et du mouvement. Situ�s dans l�oreille interne, ils constituent une v�ritable centrale inertielle qui accompagne et compl�te les capteurs proprioceptifs adapt�s, pour leur part, � la mesure des mouvements du corps via les muscles et les ligaments. Ces A r�cepteurs vestibulaires sont compos�s de trois canaux semicirculaires (horizontal, vertical ant�rieur et vertical post�rieur) situ�s dans trois plans circulaires. Ils sont remplis d'un liquide visqueux dont la diff�rence de pression mesure les acc�l�rations angulaires de la t�te. lls constituent un r�f�rentiel euclidien, inscrit dans notre corps, gr�ce auquel ils mesurent en permanence les mouvements de la t�te dans un syst�me tridimensionnel et favorisent les capacit�s de perception g�om�trique de l�espace. Ils ne donnent de r�f�rence que pour les mouvements propres au corps et constituent un syst�me �go-centr� ou topokinesth�sique.
D�autres organes �galement situ�s dans l'oreille interne, les otolithes (utricule dans le plan du canal horizontal et saccule dans celui du canal vertical ant�rieur), sont des r�cepteurs li�s a l'espace ext�rieur : ils mesurent la gravit�, cette force omnipr�sente constante en grandeur et en direction par rapport au plan tangent de la surface id�ale de la Terre, v�ritable invariant de
l'espace terrestre qui constitue une r�f�rence ext�rieure au corps, une sorte de fil � plomb externe auquel les mouvements du corps peuvent �tre r�f�r�s dans un rep�rage ici g�ocentrique. Ces capteurs permettent en particulier de stabiliser la t�te en rotation pendant la course ou la marche dans un angle qui d�pend de la direction du regard. Ils permettent aussi d�identitier la verticale facilement, les yeux ferm�s.
Cette physiologie appara�t merveilleusement adapt�e. Elle s�associe � nos cinq sens ainsi qu'aux multiples r�cepteurs musculaires et musculo-articulaires de la proprioception, ou encore aux r�cepteurs cutan�s du toucher qui mesurent pour leur part les pressions et les frottements. Bref, toute une organisation multisensorielle qui nous permet d�appr�hender le mouvement, l`espace, l��quilibre.
Cette anatomie nous rend formidablement sensibles au r�f�rentiel de la plan�te terre. Nous sentons parfaitement notre corps et l'�paisseur des choses, comme si une fraternit� de masse, de volume et d�espace, ainsi que toute une assise physiologique lentement adapt�e rendaient possible cet h�bergement plan�taire. Ces informations sur notre anatomie soutiennent notre �merveillement et notre capacit� de contemplation de la nature qui se prolonge ici en nous, dans |�ensemble de ces adaptations physiologiques h�rit�es. Cette assise corporelle nous met en lien avec quatre milliards d�ann�es de t�tonnement. Elle est constitutive d�une g�ographie int�rieure ou la spatialit� originelle et la mobilit� profonde de l�homme dessinent des directions communes qui am�nent chacun � se sentir li� � la Terre et ��quip� pour se r�aliser en sa condition terrestre. Cette plan�te, la n�tre, offre � chacun un point d�appui. Reste � mesurer le chantier de notre installation durable, sans doute plus modeste que ce que vantent sans recul les appels au sur�quipement qui dominent aujourd�hui l'univers commercial de l'habitat, mais s�rement empreint d�une intensit� sensorielle, �motionnelle et po�tique � la plan�te qui m�me d�grad�e laisse entrouverte la possibilit� d�un accueil.
En r�ve, je retrouve parfois un jardin, la beaut� des arbres, une diagonale de clart� qui entrouvre un univers color�.
Au-del� des ramures, le paysage se d�gage jusqu�aux contreforts des Alpes o� scintillent des monts enneig�s. Lointains et pr�sents, ils sont gorg�s de la lumi�re d�un autre pays, assembl� soudain au proche par l�intensit� de cette contemplation fugitive.
Je me laisse totalement impr�gner par la beaut� du monde. Il frissonne devant mes yeux et sa sonorit� si intime m��tonne : �cho pr�cis, soutenu et momentan� du paysage et de mon int�riorit�, de toutes ces r�gions insoup�onn�es de mon �tre.
J�aime les lieux par lesquels r�sonne cette capacit� d��merveillement, la contemplation passag�re et soutenue de la beaut� de la Terre qui me fait, dans l'imm�diatet� de cette rencontre, aimer le monde.