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Points de vue

La maison des rêveries

Éric Volant

Éric Volant est né à Ekeren (Anvers, Belgique) en 1926 et établi au Québec depuis 1949, est professeur retraité associé au département des sciences des religions à l'université du Québec à Montréal. Il a enseigné aussi à la faculté de théologie à l'université de Montréal. Son champ d'enseignement a été l'éthique dans les programmes de théologie, de sciences des religions, d'études interdisciplinaires sur la mort, d'éducation morale et de Société, science et technologie. Ses recherches et ses publications ont été concentrées, dans un premier temps, sur les relations fondamentales entre culture et religion, éthique et religion, et, dans un deuxième temps, sur les enjeux de la mort et de la mort volontaire.

Éric Volant est membre de la Société des Écrivains francophones d'Amérique (ÉFA) et du P.E.N. Club, Québec (Montréal). Il est membre du comité d'éthique et de déontologie de l'Association québécoise des retraités des secteurs public et parapublic (AQRP) et du comité de rédaction du journal Reflets (AQRP).
 

Dis-moi la maison que tu habites et non seulement je te dirai qui tu es,  mais je te dirai ton aptitude à nouer des liens vivants avec les autres réalités. L'appartenance à la maison est le modèle des autres appartenances.

If I were ask to name the chief benefit of the house,
Gaston Bachelard writes in the Poetics of Space,
I should say: the house shelters day-dreaming,
the house protect the dreamer, the house allows one
to dream in peace.
Mark Kingwell, The Word we want, Viking 2000

Mark Kingwell, philosophe canadien, nous rappelle ce passage que Gaston Bachelard nous a offert dans La poétique de l’espace (1): «la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix » (p. 26). Sans la maison, l’homme serait un être dispersé ; c’est elle qui maintient les humains dans l’unité de leur être à travers les orages de l’existence. Le propos de Bachelard est de «montrer que la maison est une des grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme» (p.26). Langage d’un écrivain en mi-vingtième siècle qui sonne sans doute un peu rétro à nous du vingt-et-unième siècle, immergés dans le monde de la rationalité technique et de l’économie financière ! Langage qui nous invite à la rêverie poétique, car pour éprouver, à travers toute notre vie, notre attachement à la maison, le songe est plus puissant même que la pensée et l’expérience (p. 26 et 33).
 

La maison natale
La maison est pour l’être humain, son tout premier univers, son cosmos. Sauf exception, la vie débute bien, car «elle commence enfermée, protégée, toute tiède dans le giron de la maison» (p. 26). Avant d’être jeté dans le monde, le nouveau-né est déposé dans un berceau, enveloppé de chaleur. Il n’est donc pas étonnant que toujours, en nos rêveries, la maison nous apparaît comme un grand berceau où notre être se sent envahi par le bien-être. Être, c’est être bien !

Le poète allemand Rilke n’a jamais revu sa maison natale. Et pourtant «cette étrange demeure», ce n’est pas un bâtiment matériel, écrit-il, mais elle est «toute fondue et répartie», dans son être: «les chambres, les escaliers qui descendent avec une lenteur si cérémonieuse, d’autres escaliers, cages étroites montant en spirale dans l’obscurité desquels on avançait comme le sang dans les veines» (p.65-66). Pour nous, adultes, qui gardons tout au fond de notre être une «enfance permanente», la maison natale est plus qu’«un corps de logis»; elle est «un corps de songes » (p. 33). Même disparue, nous l’habitons en songe, c’est-à-dire : «oniriquement».

Maison onirique
Il existe en nous, au-delà de la bâtisse réelle, et au-delà des faits du passé vrai de notre enfance, une «crypte» cachée, « une coquille initiale», un «placard profond». Au plus profond de nous-mêmes vit une maison imaginaire, un espace d’intimité et de réconfort, de lumière et de chaleur. Grâce à elle, nous avons la conscience d’être abrité contre le froid et le chaud, contre la tempête et la pluie, contre la nuit et les forces obscures.

Henri Bosco, autre rêveur de maison, touche un point sensible quand il nous révèle le caractère maternel de la maison: « la maison se serre contre moi, comme une louve, et par moments, je sentais son odeur descendre maternellement jusque dans mon cœur. Ce fut, cette nuit-là, vraiment ma mère. Je n’eus qu’elle pour me garder et me soutenir. Nous étions seuls.» (p. 57) À propos de la maternité de la maison, le poète polonais Milosz nous offre deux vers sublimes dans son poème Mélancolie: «Je dis ma Mère. Et c’est à vous que je pense, ô Maison! Maison des beaux étés obscurs de mon enfance» (p. 57). D’après Bachelard, Milosz réunit, dans ces vers, deux archétypes différents la Mère et la Maison qui évoquent toutes deux l’image de l’intimité et du repos.

Par contre, les archétypes de la Maison et de la Mère, associés à des rêveries de repos ne suffisent pas pour rendre compte de l’être humain dans sa complexité et dans sa diversité. Bachelard n’oublie pas l’importance de la rêverie de l’homme qui marche, une rêverie du chemin. «Emmenez-moi, chemins!...», s’écrie Marceline Desbordes-Valmore en rêvant de sa Flandre natale (Un ruisseau de la scarpe) (p. 29). «O mes chemins et leur cadence», s’exclame Jean Caubert (Désert) (p. 38). Et Georges Sand se demande : «Qu’y-a-t-il de plus beau qu’un chemin? C’est le symbole et l’image de la vie active et variée» (Consuelo, II) (p. 30). Mais c’est à la région d’intimité, à la région dont le poids psychique est dominant que Bachelard consacre ses recherches.

La rêverie habitante
Bachelard nous sert des pages admirables sur la verticalité de la maison : le grenier, hauteur claire de l’esprit; la cave, zone irrationnelle des peurs, des passions et de l’inconscient; l’escalier qui va vers la cave, on le descend toujours, tandis que l’escalier du grenier, on le monte toujours. «La grande plante de pierre qu’est la maison pousserait mal si elle n’avait pas l’eau des souterrains à sa base» (p. 40). La maison est comme un grand arbre qui lève son toit feuilli vers le ciel et est profondément enraciné dans la terre. Maison et mère, terre et ciel! Modèle végétal, cosmique, naturel de la maison des humains.

Bachelard traite de la hutte comme étant «la racine pivotante de la fonction d’habiter», «l’absolu du refuge» et le «centre de la solitude concentrée» (p. 46). Un rêveur de maison rêve d’une hutte, d’un refuge, d’un nid, d’un coin «où il voudrait se blottir comme un animal en son trou» (p. 47). En revanche, la hutte de l’ermite est le symbole de l’homme qui veille (p. 48). Par sa lumière, lampe ou chandelle qui l’éclairent, la hutte à la lisière du bois, à l’instar des humains, regarde, veille, surveille, attend et attire les passants (p. 48).

Les fenêtres et les portes de la maison engagent avec le monde «un commerce d’immensité» (p. 75). Ouverture au monde, la maison devient expansive. Le seuil, lieu des arrivées et des départs, est un lieu sacré, frontière qui sépare le dedans du dehors.

Dans un autre livre La Terre et les rêveries du repos (2), l’auteur dans un chapitre intitulé «la maison natale et la maison orinique», annonçait déjà la même thématique de la «rêverie habitante»:
«La maison onirique est un thème plus profond que la maison natale. Elle correspond à un besoin qui vient de plus loin. Si la maison natale met en nous de telles fondations, c’est qu’elle répond à des inspirations inconscientes plus profondes» (p.112).
«La maison natale est construite sur la crypte de la maison onirique. Dans la crypte est la racine, l’attachement, la profondeur, la plongée des rêves» (p. 113).
«Les rêves sont d’autant plus grands que le rêveur se tient dans un plus petit réduit. […] On donnerait à l’enfant une vie profonde en lui accordant un lieu de solitude, un coin» (p. 126).
En nous plongeant dans la densité du songe, Bachelard nous met en «quête d’immensité».

Le temps et l’espace se rejoignent. Ce modèle anthropologique et cosmique de la maison correspond si peu à la société contemporaine. Les jeunes couples à deux salaires s’achètent des grandes maisons à des hypothèques de 40 ans. Dans ces grands dortoirs des quartiers de la banlieue, ces mercenaires du travail ne pourront plus rêver, mais seulement compter pour arriver dans leur budget. Les aînés s’ennuient dans leurs condos anonymes, coincés entre deux étages ou deux immeubles, enfermés dans la solitude de leur confort matériel et dans l’inquiétude au sujet de leurs investissements financiers. La jungle de l’immobilier et de la Bourse est peu propice à la rêverie habitante, au repos et à l’intimité.

Notes

(1) G. Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1957.
(2) G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, José Corti, Les Massicotés, 2004 (1948).

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