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Points de vue

La maternité, les mères porteuses et l'appartenance

Denise Bombardier

Denise Bombardier est une éminente journaliste québécoise. Sa notoriété s'est étendue jusqu'à la France.  On peut l'entendre à la radio, la voir à la télévision, la lire dans les journaux. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages, des essais surtout. Elle prépare en ce moment un livre sur la chanteuse Céline Dion.

Nous reproduisons ici, avec l'autorisation de l'auteure, Denise Bombardier, un article sur les mères porteuses paru dans le journal Le Devoir du samedi 21 mars. Quelques jours plus tôt, une femme du Québec s'était présentée devant un tribunal pour réclamer le droit d'adopter un enfant qu'une autre femme avait porté moyennant des frais de 20 000 $. Le juge Michel Dubois, de la Cour du Québec, a refusé de lui accorder ce droit. Ce qui a relancé le débat sur la question des mères porteuses. Le Québec, à l'instar de la France n'a pas de loi autorisant cette pratique et l'encadrant. Denise Bombardier s'oppose à une telle loi, pour des raisons semblables à celles qu'invoque en France le Dr René Frydman, ''père'' du premier bébé-éprouvette dans ce pays.'' Son plaidoyer est aussi un témoignage d'une exceptionnelle qualité sur ce lien vivant que nous appelons appartenance.

 

Quel est donc ce monde que nous construisons au gré de nos caprices, de nos envies, de nos désirs? Quel est donc ce monde dont les limites ne se définissent plus qu'en fonction des avancées technologiques? Vers quel univers affectif, psychologique et spirituel sommes-nous en train de glisser sans nous revêtir de la gravité que commanderaient de tels choix?
Nous voilà collectivement confrontés à la pratique des mères porteuses. Nous n'avons pas encore légiféré sur cette question, si bien qu'une Québécoise qui a eu recours à une mère porteuse s'est vu refuser l'adoption de l'enfant qui est devenu le sien de par sa seule volonté. Et voilà que des spécialistes de la médecine de reproduction appellent de leurs voeux une loi favorisant une telle pratique.

Le raisonnement des défenseurs des mères porteuses se veut pragmatique. Puisque des femmes y ont recours, il faudrait donc confirmer légalement cette réalité. Or il est fallacieux de croire que la réalité doit nécessairement être entérinée par une loi. Allons-nous légaliser le meurtre sous prétexte qu'il est pratiqué par des criminels? Devons-nous légaliser l'inceste, la polygamie, le viol, la violence conjugale?

Qu'est-ce donc qu'une mère porteuse sinon une femme qui instrumentalise son corps contre espèces sonnantes? Un tenant de la légalisation affirmait cette semaine que des femmes s'offrent à porter un enfant par vertu pour une amie incapable de tomber enceinte. Comme si porter un enfant avait le même sens que donner de son sang ou un rein, ou de la moelle épinière. Il y a ici une confusion dans des actions humaines qui n'ont ni la même portée ni le même sens, pour ne pas parler de la charge émotionnelle et fantasmatique qui y est rattachée.

Peut-on vraiment affirmer qu'une femme qui vit neuf mois habitée par un embryon qui devient progressivement un être n'est qu'un réceptacle? La grossesse est une période si bouleversante qu'elle en est difficilement communicable. Entre la mère et le foetus s'établit une intimité qui exclut même le père. Le premier couple mère-enfant est seul au monde, enfermé dans son mystère à l'abri du regard des autres. Sentir le bébé bouger dans son sein, dialoguer avec lui secrètement, s'inquiéter de ses accalmies, imaginer ses traits, la couleur de ses yeux, son futur sourire, lui inventer une voix cristalline ou rauque, telles sont les petites joies de la grossesse au quotidien. Une femme enceinte vit de ses propres radotages. Elle s'en nourrit, les entretient et personne ne peut lui ravir le sentiment aigu de créer la vie avec son propre corps. C'est pourquoi les femmes qui ont eu le bonheur d'être enceintes après avoir désiré un enfant ont expérimenté une dimension fondamentale de la féminité. Les femmes qui par choix s'y refusent assument leur décision bien que certaines semblent éprouver de l'agacement devant l'éloge de la maternité. Aveu inconscient de regret? Sans doute et surtout lorsqu'elles vieillissent. Celles qui, incapables de tomber enceintes, se décident à adopter un enfant se préparent mentalement à accueillir le bébé et ces émotions de future mère atténuent la douleur, car c'en est une, de ne pas pouvoir porter l'enfant dans son ventre.

Que des femmes acceptent d'être un réceptacle est une réalité. Une terrible réalité à vrai dire. Ces utérus à vendre sont en général le fait de femmes financièrement démunies, dont on nous permettra de croire qu'elles sont aussi psychologiquement fragilisées. Ou alors, ce sont des femmes vulnérables ou inconscientes quant aux perturbations que cela peut entraîner chez elles. Et on trouve sans doute parmi les mères porteuses des femmes qui en sont arrivées à une désacralisation d'elles-mêmes, de leurs gestes et de leurs actions. Certains nous feront le reproche d'user d'arguments moraux. Ils auront raison. Car enfin, comment analyser ce phénomène en croissance sans une vision morale? L'être humain, il faut le répéter en ces temps perturbés, est un être moral, et dissocier la moralité de ses actions en fait un robot.

La mère porteuse est un phénomène récent tributaire de la science, mais elle est aussi rattachée aux valeurs du système économique. L'enfant, aux yeux d'un nombre grandissant de gens, est un produit de consommation. On s'achète un enfant qui s'ajoute à l'ensemble de nos possessions matérielles. Certains veulent un enfant à tout prix. Pour se perpétuer, pour assurer l'héritage quelquefois, pour compléter l'image sociale. On veut l'enfant comme une valeur ajoutée à soi-même. Pour ce désir, dont on n'accepte pas les limites, on refait la nature humaine. La mère porteuse devient une amie momentanée dont on est le client exceptionnel, dépendant et généreux. On lui attribue des qualités inhumaines: la générosité, le don de soi et une insensibilité totale aux vieux archaïsmes maternels. On prétend qu'elle ne souffrira pas de son expérience de mère porteuse, qu'elle comprend que cet enfant qui sortira de ses entrailles, accroché à elle par le cordon ombilical, n'est pas le sien. Le vagissement du bébé qu'elle entendra ne lui transpercera pas le coeur. La mère porteuse, en ce sens, serait un bien de consommation. Qui peut soutenir le contraire, hélas?

 

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Jacques Dufresne

L'éditeur de L'Encyclopédie de L'Agora analyse l'actualité à travers le thème de l'appartenance.
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