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Points de vue

Sport durable et appartenance

Jacques Dufresne

 

Le sport durable est celui dont l'empreinte écologique est minimale et que tous peuvent pratiquer toute leur vie. Les gens n'auront pas besoin de se convertir à ce sport puisqu'il l'ont déjà adpopté. Quelles sont en effet les activités physiques les plus populaires? La marche, le jogging, le vélo, le jardinage. Mais où vont les milliards et les empreintes écologiques démesurées? Aux sports professionnels et olympiques, lesquels remplissent aussi les écrans de télévision. Et l'on peut présumer qu'en transformant les gens en spectateurs, ils les éloignent aussi de l'activité physique.Au Canada, la pratique du sport chez les adultes est en déclin; elle a diminué brusquement au cours de la période 1992 – 2005 de 45 pour cent à 28 pour cent.

Notre organisme ne peut assimiler, c'est à dire absorber sans se mettre en péril, que des quantités limitées de fer, de sucre, d'iode, de carbone, etc. Notre habitat, le système terre atmosphère obéit aux mêmes lois. Trop de sucre provoque le diabète dans le premier cas, dans le second, trop de gaz à effets de serre provoque une fièvre appelée réchauffement climatique. Le développement durable est pour le système terre atmosphère l'équivalent de la santé pour l'organisme individuel, il consiste pour lui à n'absorber que ce qu'il peut assimiler. La recherche de cet équilibre implique que nous imposions une limite à nos désirs et que nous les orientions vers des biens moins coûteux en substances tirées de la terre et de la mer.

 Photo: Michel Leblond- Le monde en images

Dans l'ensemble des activités correspondant à nos désirs, c'est à celles qui sont situées loin du travail et de ses nécessités que nous devons d'abord imposer une limite. C'est le cas du voyage et du sport. Nous nous limiterons ici à la réflexion sur le sport, en évoquant à l'occasion le lien étroit qui existe entre les deux. Nous aurons tôt fait de découvrir que bien des conversions s'imposent dans le sport et que ces conversions peuvent présenter plus d'avantages que d'inconvénients. Il est clair, par exemple, que l'on gagne au change en passant de la motoneige au ski de fond et du bateau à moteur à la planche à voile. Nous avons la conviction, et c'est ce que nous voulons démontrer ici, que c'est le cas de la plupart des transitions vers des pratiques sportives plus respectueuses des équilibres naturels.

Écoscopie du sport

Bien des gens ont été étonnés et parfois choqués d'apprendre, il y a quelques années, qu'on venait d'inaugurer à Dubaï une piste de ski intérieure. L'équivalent de deux terrains de football à refroidir par 40 degrés, cela ressemble en effet à un luxe extrême. Mais de quel droit en faire reproche à Dubaï? Il y avait déjà une cinquantaine de pistes intérieures dans le monde, les deux plus longues en Europe. On peut présumer qu'il y en aura bientôt des centaines en Asie.

Mais serait-il préférable que les habitants de Dubaï nolisent des avions, à raison de 1 500 passagers (capacité du Centre de ski intérieur) par jour pour aller skier en Suisse? Question qui en soulève une foule d'autres: Quel est le coût du transport de ces équipes professionnelles, de baseball, de football, de hockey qui sillonnent le ciel d'Amérique, d'Europe et désormais de la terre entière? Quant au sport olympique, avec ses grands rassemblements tous les deux ans et les compétitions par disciplines organisés partout dans le monde, n'a-t-il pas lui aussi une empreinte écologique de plus en plus grande ?

Et il n'y a pas que les athlètes qui font de longs trajets pour s'arracher un ballon. Les spectateurs font de même pour être témoins de la chose. Une étude rapportée dans l'édition du 16 avril 2005 du magazine New Scientist nous apprend que les 73 000 spectateurs qui ont assisté à un match de football, à Cardiff au pays de Galles, avaient parcouru 48 millions de kilomètres, dont près de la moitié en voiture. La somme du gaz carbonique dégagée équivalait à la quantité qu'une forêt de 2,670 hectares peut absorber pendant un an. Si tous les spectateurs avaient utilisé l'autobus ou le train, l'empreinte aurait été réduite de 24%.

Le passé du sport à vol d'oiseau

Un bref rappel de l'histoire du sport moderne nous aidera à comprendre pourquoi il a pris cette forme coûteuse et pourquoi il s'est répandu dans le monde entier. Il est né en Angleterre, au XIXe siècle et il a vite conquis les pays où le capitalisme avait fait le plus de progrès: la France, l'Allemagne et les États-Unis. Ce qui explique pourquoi certains historiens, des historiens marxistes notamment, y ont vu un sous-produit et un instrument du capitalisme. Il faut en effet des capitaux importants pour former de grandes équipes professionnelles. D'autre part, le respect de l'autorité et la discipline nécessaire dans les sports d'équipe sont des qualités très appréciées dans les entreprises capitalistes. Chacun sait toutefois que les mêmes sports ont conquis les pays socialistes où ils ont atteint vers 1970 un degré d'excellence qui faisait l'envie des pays capitalistes.

Si on ne peut rattacher les sports ni à un régime politique particulier, ni à un type d'économie, à quoi faut-il donc les rattacher? À une religion? S'il est incontestable que les protestants ont été surreprésentés parmi les premiers médaillés des Jeux olympiques, il faut aussi noter qu'aucune barrière religieuse n'a empêché les sports modernes de s'implanter à travers le monde. Né en Angleterre, le football a autant de patries qu'il y a de pays dans le monde.

La thèse la plus solide est celle qui associe le sport moderne à la science moderne. C'est ainsi par exemple, que l'on peut expliquer une différence essentielle entre les Jeux olympiques de l'antiquité et ceux d'aujourd'hui ; l'absence de chiffres et de records dans le premier cas, l'obsession de la mesure et le culte du record dans le second cas. Si la mesure des performances les avait intéressés, les Grecs auraient facilement pu inventer des appareils, des clepsydres par exemple, qui leur auraient permis d'atteindre un haut degré de précision. Seul l'aspect qualitatif des prouesses les intéressait, quant au reste il leur suffisait de connaître le gagnant.

«L'émergence des sports modernes ne représente ni le triomphe du capitalisme ni la montée du protestantisme, mais plutôt le lent développement de la Weltanschauung (vision du monde) empirique, expérimentale et mathématique. Les premiers dirigeants des sports de l'Angleterre ont moins à voir avec l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme qu'avec la révolution intellectuelle symbolisée par les noms d'Isaac Newton et John Locke et institutionnalisée par la Royal Society fondée pendant la Restauration,en 1662, pour l'avancement des sciences. »1

À l'appui de cette thèse Allen Guttmann cite l'auteur allemand Hans Lenk : «Le sport de performance, c'est-à-dire le sport où la performance s'étend au delà de l'ici et du maintenant grâce à la comparaison des mesures, est intimement lié aux attitudes scientifiques et expérimentales de l'Occident moderne.»2

Le français Jacques Ullmann, que cite également Guttmann, oppose l'esprit des sports grecs et des sports modernes: «La gymnastique des Grecs était inséparable d'une conception du corps, elle-même conditionnée par une métaphysique de finitude, tandis que le sport moderne est tributaire de l'idée de progrès selon laquelle il n'y a pas de limite aux améliorations.»3 Pour les Grecs de l'antiquité, la notion de limite avait une connotation si positive que son contraire, l'illimité, était synonyme de mal. Ne pas imposer de limite à ses désirs c'était sombrer dans la démesure, l'hybris. C'est précisément cette hybris qui menace la nature en ce moment, comme elle menace le corps des athlètes. Dans le cadre du sport moderne, on ne tire pas gloire de la beauté atteinte dans le respect de la limite, mais de la limite dépassée au risque d'engendrer la laideur.

Les trois passages que nous venons de citer ont été écrits après 1970, mais la thèse qu'ils illustrent avait été formulée longtemps auparavant par le philosophe allemand Ludwig Klages, lequel a d'abord souligné, dans l'histoire de l'occident moderne, le lien étroit entre la montée du formalisme dans les sciences, les affaires, l'administration et les sports. Klages appelle formalisme,4 ce que Guttmann appelle quantification. Klages ne se limite toutefois pas à constater le trait commun aux sports et aux autres activités caractéristiques de la modernité. Il propose une explication du phénomène comportant un enseignement précieux pour tous ceux qui estiment qu'une réorientation du sport est devenue nécessaire.

 

Photo: Hélène S. Dubois, Le monde en images. Patinage en Mauricie, au Québec. À l'horizon, le Pont de Trois-Rivières

  Il est des jours d'hiver glorieux où il est impossible de résister au désir de partir en ski ou en patin  pour s'abandonner dans l'euphorie au plaisir de respirer de l'air pur et à la joie de s'immerger dans la lumière et la beauté au point de ne plus faire qu'un avec le paysage. Aucun effort de volonté n'est requis dans ce cas. De la volonté, il en faudrait au contraire pour rester devant l'écran de l'ordinateur ou du téléviseur. Tel est le sport quand il s'identifie encore au jeu, quand il demeure une activité spontanée comportant en elle-même sa récompense, gratuite, irrationnelle, libre de tout but, de toute finalité, y compris celle de la santé.

Aux yeux de Klages c'est l'âme, unie à la nature par un lien polaire  l'âme lieu des mobiles positifs d'admiration et d'approbation affective  qui s'exprime alors. À ce principe de vie, il oppose l'esprit en donnant à ce mot un sens bien particulier, proche de celui que nous donnons à l'expression raison instrumentale quand nous voulons désigner la raison en tant que moyen de dominer le monde plutôt que de le contempler. De même que de nombreux penseurs soutiennent que la modernité coïncide avec la montée de la raison instrumentale, de même Klages estime qu'elle est caractérisée par la montée de l'esprit, dont le formalisme est la manifestation. Entre la volonté et cet esprit, dans la perspective de Klages, le lien est étroit. Dans son rapport avec son propre corps et avec la nature, l'homme moderne a tendance à substituer la volonté à l'âme. Cette tendance, précise-t-il, devient manifeste dans le culte du record, comme dans l'agitation du parquet de la bourse où, au mouvement spontané et gratuit de l'âme, à l'appel de la vie, se substitue la volonté, empreinte de démesure, d'atteindre un but chiffré, sans cesse accru, que l'on peut qualifier de purement arbitraire par rapport aux besoins fondamentaux de l'être humain. En glissant sur cette pente, l'être humain s'appauvrit, il perd jusqu'à la capacité de voir que le milieu vivant autour de lui s'appauvrit également, se désertifie, se minéralise, devient purement fonctionnel. À partir d'un certain moment, la volonté n'est plus que volonté de puissance, elle étouffe l'âme et réduit le corps, jadis signe l'âme, à une mécanique instrumentalisée. Car « plus la pensée est au service de la volonté, et plus la volonté s'émancipe, plus elle s'identifie à l'arbitraire absolu ».

Guttmann nous met lui-même sur la piste de l'explication de Klages. Son livre s'ouvre par l'évocation sur le mode poétique d'une ivresse cosmique qu'un enfant a vécue en courant sur le sable au bord de la mer. Cet enfant c'était le britannique Roger Bannister, celui qui, en 1954, a pour la première fois couru le mile en moins de quatre minutes. Plus loin dans son livre, Gutmann cite le témoignage de Bannister suite à son exploit.

Écoutons d'abord l'enfant: « ''qui était saisi par la qualité de l'air et la beauté des nuages, par une espèce de perfection mystique: dans ce moment suprême, je vivais une joie intense. J'étais épouvanté et effrayé par l'excitation immense que ces quelques pas avaient pu causer. [...] La terre semblait presque bouger avec moi. Je courais désormais et un rythme frais envahissait mon corps. N'étant plus conscient de mes mouvements, je découvrais une nouvelle union avec la nature. J'avais trouvé une nouvelle source de pouvoir et de beauté, une source dont je n'aurais jamais pu rêver l'existence.''» 5

Et voici le témoignage de Bannister devenu un champion olympique:

«J'ai eu un moment mêlant joie et angoisse, quand mon esprit a pris le pouvoir. C'est allé très vite devant mon corps et ça a placé irrésistiblement mon corps derrière. J'ai pensé que le temps de la vie était venu. Il n'y avait aucune douleur, juste une grande unité de mouvement et d'aspiration. Le monde semblait être là ou ne plus exister [...].J'ai senti à ce moment que j'avais une chance de faire quelque chose de très bien. J'ai continué et ai été poussé par une combinaison de peur et de fierté. » Et quand ce fut terminé, quand le temps fut annoncé, Bannister a attrapé ses amis Brasher et Chataway et «ensemble, (ils ont) galopé autour de la piste dans une bouffée de joie spontanée ». 6

Guttmann soutient que ces deux moments dans la vie d'un même homme illustrent le passage du jeu éternel au sport moderne. En utilisant l'expression « jeu éternel », j'évoque la thèse Johan Huizinga, pour qui le jeu est une caractéristique essentielle de l'homme: Dans Homo Ludens, Huizinga parvient à nous persuader que le don du jeu définit mieux l'essence de l'homme que celui de la pensée et de l'action. Sapiens ? Sommes-nous si raisonnables? Faber ? En quoi cela nous distingue-t-il de nombreux animaux ? «L'existence du jeu affirme de façon permanente, et au sens le plus élevé, le caractère supra logique de notre situation dans le cosmos. Les animaux peuvent jouer : ils sont donc déjà plus que des mécanismes. Nous jouons, et nous sommes conscients de jouer : nous sommes donc plus que des êtres raisonnables, car le jeu est irrationnel. »

Notons au passage que définir l'homme par le jeu plutôt que par la raison, c'est rendre sa définition plus inclusive. Les peuples et les personnes humaines qu'on avait au moins partiellement exclus de l'humanité en leur attribuant une mentalité prélogique y sont réintégrés par la nouvelle définition. Mais qu'est-ce donc que le jeu pour Huizinga ? En complète opposition avec la conception traditionnelle du jeu dans lequel les auteurs anciens ne voyaient qu'une forme dégradée de pratiques rituelles ou sacrées, ou d'activités imposées par les nécessités de la vie, Huizingua soutenait, qu'au contraire, la culture est issue du jeu, que le jeu stimule l'ingéniosité et la capacité des êtres humains à concevoir des règles pour encadrer leur existence, à délimiter un territoire où l'avidité primaire et la volonté de domination trouvent à s'exprimer sans détruire un ordre social précaire.

Il définit le jeu comme une «une action fictive, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité... », définition qu'il complète en ajoutant que cette action s'accomplit dans le respect librement consenti de règles impérieuses et indiscutables, qu'elle est « pourvue d'une fin en soi ».7 Quand Huizinga constate ensuite que le sport perd progressivement sa dimension ludique, ce n'est pas seulement une déshumanisation du sport qu'il diagnostique, c'est une déshumanisation au sens absolu du terme.

Mais revenons à Bannister. De toute évidence, il était un amateur au plus beau sens du terme. Il ne s'entraînait que trente minutes par jour, il n'avait pas encore quitté la sphère du jeu quand il a couru le mile en moins de quatre minutes. Il ressemblait plus au coureur aux pieds nus, Abebe Bikila, qui fit sensation aux jeux de Rome en 1960, qu'aux athlètes fabriqués et dopés d'aujourd'hui.

Parmi les autres preuves que l'on pourrait apporter à la thèse du sport défini par la science, il y a le lien étroit que l'on peut établir entre les conceptions du sport à telle ou telle époque et les métaphores dominantes de la science. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont caractérisés par le corps machine, machine étant pris ici au sens de machines simples, comme le levier. Au XIXe siècle apparaît le corps énergétique, dont la machine à vapeur est le modèle; le XXe siècle est celui du corps programmé, l'ordinateur étant la machine qui sert de modèle.

Il serait bien étonnant que le sport puisse être à ce point marqué par la science sans reproduire les autres caractéristiques de la modernité, telle la spécialisation et la bureaucratisation. Allen Guttmann, entre autres, l'a bien compris et c'est pourquoi sa description du sport moderne paraît si juste. Il y voit sept grandes caractéristiques : sécularisme, égalité, spécialisation, rationalisation, bureaucratie, quantification et quête des records.

Caractéristiques du sport moderne

Sécularisme
Le sport moderne n'est pas religieux. La chose semble claire, même si plusieurs auteurs estiment qu'il enferme bien des caractéristiques des rites religieux.

Égalité
Il s'agit bien entendu ici de l'égalité des chances. C'est par respect pour ce principe qu'on a institué des épreuves différentes pour les hommes et pour les femmes et pour les jeunes de tel âge à tel âge.

Spécialisation
Non seulement chaque athlète se spécialise-t-il dans un sport, mais encore lui faut-il spécialiser chacun de ses muscles pour améliorer sa performance dans ce sport.

Rationalisation
Les étapes dans la formation d'un athlète ressemblent aux étapes dans la fabrication d'une voiture de course

Bureaucratisation
Le comité olympique international est l'équivalent des Nations Unies. Les corporations qui possèdent les équipes du sport professionnel sont de lourdes organisations bureaucratiques. Ainsi en est-il des associations de joueurs.

Quantification
Les statistiques ont depuis longtemps remplacé la poésie comme langage du sport. Et on en invente chaque jour de nouvelles.

Record
Il est le point de convergence de toutes les autres caractéristiques.

Il nous semble important de compléter cette liste par trois autres caractéristiques :

Âgisme
Les sports modernes, professionnels ou olympiques, sont la chasse gardée des 15 à 35 ans.

Empreinte écologique élevée
Nous en avons établi la preuve précédemment à propos de Cardiff.

Mondialisation
À l'exception souvent notée du baseball et du football américains, les sports modernes ont tendance à se répandre sur la terre entière et à se substituer aux sports traditionnels là où ils existent encore.

Les institutions en déclin ont souvent une période de triomphalisme juste avant leur mort. Ce fut le cas de l'art gothique. Les constructeurs de la cathédrale de Beauvais au début du XIIIe siècle avaient dépassé la mesure. À peine la nef terminée, des réparations furent bientôt nécessaires pour la soutenir. On ira ainsi pendant des siècles d'erreurs en réparations, et de réparations en nouvelles démesures jusqu'à ce que l'on érige au XVIe siècle un clocher de 150 mètres, qui s'effondrera.

Les prodigieux efforts qui ont été accomplis pendant les Jeux d'hiver de Vancouver en 2010 pour réparer les pistes après la pluie ; l'eau douce qu'il a fallu détourner vers Pékin à l'occasion des Jeux d'été de 2008 ces excès pourraient-ils annoncer la fin de cette institution ? Au même moment, on doit se rendre à l'évidence que les records perdront inévitablement leur intérêt un jour prochain. Ils approchent tous de leur limite, même si par définition ils sont un défi à la limite. Quand on aura utilisé tous les trucs licites ou illicites pour gagner une fraction de seconde, il faudra bien se rendre à l'évidence qu'à la place du record à dépasser il y aura bientôt un mur infranchissable.

On peut s'attendre aussi à ce que leur popularité diminue peu à peu. Ce sera inévitablement le cas si tous ceux qui sont déjà gagnés au développement durable font preuve d'un minimum de cohérence. À quoi bon en effet réduire la cylindrée des voitures si au même moment on multiplie les grands centres sportifs couverts, auquels on ne peut accéder qu'au prix d'un long trajet en voiture ?

C'est là la raison la plus manifeste de repenser le sport. Ce n'est pas la plus profonde, ni sans doute la plus déterminante. Souvenons-nous de Bannister. Enfant, dans ses jeux, il était en symbiose avec la nature. C'est une véritable extase cosmique qu'il évoque. Plus tard, au moment d'abattre le record du mile en 4 minutes, il sera seul avec lui-même, c’est son esprit qui aura pris le pouvoir. Le savant moderne est lui aussi devenu étranger à la nature qu'il analyse. C'est cette vision du monde, centrée sur la science conquérante qui est en déclin.

Une autre vision du monde s'ébauche. Elle est centrée sur ce que l'on pourrait appeler la science réparatrice, fondée à la fois sur la nécessité de réparer les erreurs de la science conquérante et sur un respect retrouvé pour la nature. Le bio mimétisme et la permaculture en sont de bons exemples. Plutôt que se précipiter sur la dernière découverte pour l'utiliser comme moyen facile de transformer le monde, sans se soucier des effets secondaires, on voudra prendre le temps d'étudier à fond un phénomène, de le situer dans son contexte avant de songer à en tirer des applications. Et de plus en plus ces applications devront être des imitations de la nature plutôt que des transformations.

Ce rêve ne pourra toutefois se réaliser que si l'homme se rapproche de nouveau de la nature, ce qui suppose qu'il la protège et la réhabilite. Le sport durable est l'une des voies qu'il peut emprunter pour y parvenir. La meilleure façon de dessiner le contour du sport durable c'est de réviser les dix caractéristiques du sport moderne

Caractéristiques du sport durable

Du sécularisme au sacré
Il est des sports comme le canoë camping, le trekking, l'alpinisme qui éveillent le sens du sacré même chez ceux de nos contemporains qui en sont le plus éloignés par leur mode de vie. Rien ne nous empêche de les pratiquer davantage. Les pèlerinages sont- ils des sports? Qu'importe! Ils sont des exercices bienfaisants qui mettent leurs adeptes sur la piste du sacré. On peut en dire autant du yoga.

De l'égalité à l'appartenance
Dans l'organisation des jeux dans une communauté, on a le choix entre deux critères, l'appartenance ou l'égalité. On choisit de former équipe soit avec des gens de son quartier quels que soit leur âge et leur force, soit avec des joueurs de force égale. Dans ce dernier cas, l'appartenance passe au second plan. Dans le précédent, elle est au premier plan. Il arrive encore souvent que sur les patinoires extérieures se forment des équipes où filles et garçons de tous les âges se regroupent, où personne n'est exclu, pas même l'enfant qui tient à peine sur ses patins. Ce sont généralement des moments de joie.

De la spécialisation à l'harmonisation
C'est être esclave d'un sport devenu un travail que se priver, pour mieux y réussir, d’autres sports que l'on pratiquerait avec autant de plaisir. Et bien entendu on a plus de chances de devenir un être harmonieux si on pratique plusieurs sports que si on se limite à un seul

De la rationalisation à la spontanéité
Il entre une grande part d'irrationnel dans le jeu. Pourquoi réduire cette part dans nos vies, alors qu'elles sont déjà rationalisées à l'excès?

De la bureaucratisation à l'esprit d'initiative
Dans la plupart des villages du Québec jusqu'à la fin de la décennie 1950, les jeunes devaient organiser eux-mêmes leurs équipes et trouver ensuite l'argent nécessaire pour aller se mesurer aux équipes des villages voisins. Certaines années, on ne réussissait pas à créer assez d'équipes pour former une ligue. On devait preuve de plus d'initiative l'année suivante. Entre les bureaucraties actuelles et ce laisser-faire d'hier, n'y a-t-il pas un juste milieu à trouver ?

De la quantification à la qualité et à l'art
Il suffit de contempler un tableau d'Avercamp sur les sports d'hiver en Hollande, une sculpture grecque comme celle du Discobole ou de lire un poème de Pindare pour voir que nous aurions tout à gagner à pratiquer des sports qui puissent être une source d'inspiration pour les peintres, les sculpteurs et les poètes.

Du record à l'émulation
Se mesurer à l'autre, cela fait partie du jeu. Mais quand dans les fêtes de village on joue à la souque à la corde, est-ce qu'on se soucie d'abattre un record ? Le plaisir est-il moindre? C'est moins toutefois la récompense de l'effort qui importe que sa nature même. Une distinction entre émulation et compétition s'impose. Fondée sur l'admiration, l'émulation est un sentiment généreux. La compétition s'apparente davantage à la rivalité. «La rivalité et l'émulation ne s'exercent pas sur les mêmes objets, précise Littré. L'émulation a pour objet de surpasser en mérite, en vertu etc.; la rivalité a pour but de disputer la possession d'un bien, le pouvoir, la richesse, une femme, etc.»

De l'âgisme au sport pour tous les âges
La marche, l'exercice à la maison, le jardinage, le vélo sont les activités physiques les plus populaires au Canada. Ce sont des sports durables dans les deux sens du terme: ils durent toute la vie des hommes et font durer celle de la planète. Il en est ainsi de la natation et du ski de fond.

De l'empreinte écologique à la résilience locale
Parce qu'il peut le croiser dans la rue, lui parler, le toucher, l'enfant, si on lui en donne l'occasion, s'identifie davantage à la vedette locale qu'à l'étoile lointaine du sport professionnel, ce qui enrichit sa communauté. Cet enrichissement de la vie sociale a par la suite des effets heureux sur l'environnement physique.

De la mondialisation à l'action locale
C'est parce qu'ils appartiennent davantage à la sphère du travail et des affaires que les sports professionnels et olympiques modernes se mondialisent. Si on les ramène vers le jeu, ils retrouveront la place que le bon sens leur destine: le voisinage. Que les chefs d'État et les savants doivent se réunir un jour à Pékin, un autre à Genève, que l'on puisse voler de partout dans le monde au secours d'un pays sinistré, ce sont des choses qui demeureront nécessaires, mais qu'on se déplace à un rythme encore plus grand, pour disputer des matchs de sport professionnel, en trop grand nombre chaque année, ce ne serait justifiable à la limite que si c'était la condition sine qua non d'une pratique généralisée et durable du sport et de l'activité physique en général.

Ce n'est manifestement pas le cas. Au Canada, la pratique du sport chez les adultes est en déclin; elle a diminué brusquement au cours de la période 1992 – 2005 de 45 pour cent à 28 pour cent 5. 8 Or, c'est également pendant cette période que les occasions de voir le sport à la télévision se sont multipliées. Pour ce qui est des enfants, le tableau n'est guère plus réjouissant.

Compte tenu la vie sédentaire que mènent de plus en plus de gens,des heures passées devant un écran cathodique à la maison, au travail ou à l'école, compte tenu du temps disponible pour le loisir, l'activité physique et le sport en général devraient prendre de plus en plus d'importance dans nos vies.

Il est à craindre, et bien des auteurs sont de cet avis, que le sport moderne, qui est aussi un sport spectacle, n'ait pour principal effet d'exposer les gens à la publicité et de faire d'eux des consommateurs de plus en plus passifs. Une chose est absolument certaine: ils ne pratiquent pas les sports dont ils sont les spectateurs. Au Canada, les sports et activités physiques les plus pratiqués sont dans l'ordre: la marche, le jardinage, les exercices à la maison, la natation, la bicyclette, le jogging.

Tous des sports durables. Ce qui autorise à faire l'hypothèse que si les médias leur accordaient autant d'importance qu'aux sports spectacles, il s'ensuivrait une popularité encore plus grande de ces sports. Si par exemple, tous les soirs aux nouvelles, on interviewait un pèlerin de Compostelle ou un marcheur l'Appalachian Trail, sans doute ces grandes randonnées sur la terre et sous le ciel auraient-elles encore plus d'adeptes. Dans la perspective du sport durable toutefois, il faut plutôt faire l'hypothèse que c'est l'attrait et la proximité d'une rue vivante ou d'un beau paysage qui incitent à se mettre en mouvement. La beauté et la vie nous attirent comme leur site de nidification attire les oiseaux migrateurs. C'est cet attrait qui est durable, tandis que l'effort de volonté en vue d'une fin extérieure, fût-elle la santé, devient vite lassant. La construction d'un grand centre sportif couvert incite les gens à penser que cela les rendra plus actifs. Ils s'en lasseront aussi vite que de l'appareil de gymnastique qu'ils viennent d'installer dans leur sous-sol. Mais embellissez la rue conduisant à un parc où d'autres promeneurs leur accorderont un peu d'attention et vous les verrez aller à la rencontre de cette vie. Ces émergences de la vie, il faut le rappeler, ne se prêtent guère à la planification. Le paysage vivant n'est pas la cause de la société vivante. Ils se fécondent l'un l'autre, naissent et renaissent en même temps.

NOTES

1-Allen Guttmann, Du rituel au record, la nature des sports modernes, Paris, L'Harmattan, 2006, p.
125

2-Hans Lenk, Leistungs sport:Ideologie oder Mythos?,op.cit.,p.144.

3- Jacques Ullman, De la gymnastique aux sports modernes, Paris,Vrin, 2èmeéd. 1971,p.336

4- Klages, Ludwig, Les principes de la caractérologie, Delachaux et Niestley,
Paris 1950, p. 122

5-Allen Guttmann, Du rituel au record, la nature des sports modernes, Paris, L'Harmattan, 2006, p 18.

6 – Allen Guttmann, Op.cit. p.115

7- Johan Huizinga, Homo Ludens - Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, Gallimard, 1951, p.35

8- L'influence du sport, le Rapport Sport Pur

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